Itinéraire d'un professeur
entretiens avec Didier ROBRIEUX
Avec le rang de 5eme DAN, une intense activité d'enseignant et des responsabilités de DTR auprès de la Ligue de Haute Normandie et animateur départemental pour les Yvelines, Gérard CHAUVINEAU appartient au groupe des hauts techniciens de notre Fédération qui oeuvrent résolument à la promotion de notre discipline. Il nous parle de sa passion de l'Aïkido qui nourrit son action de professeur et son engagement personnel de pratiquant.
Comment avez-vous rencontré l'Aïkido ?
J'ai découvert l'Aïkido par hasard. Entre l'âge de dix et dix-huit ans j'ai pratiqué intensément la gymnastique au sein d'une importante équipe des Yvelines. Cette activité me plaisait énormément Après avoir été durant plusieurs années compétiteur de haut niveau, j'ai ressenti le besoin de m'orienter vers une discipline dans laquelle je pourrais davantage m'épanouir sur le plan personnel sans avoir à subir la pression imposée par la sempiternelle recherche de la performance. J'ai été amené à changer de lieu de résidence, ce qui m'a donné l'occasion de sauter le pas. J'avais dans l'idée d'apprendre le karaté. Ayant une nature assez impulsive, je pensais que la pratique de cet art martial allait m'aider à me tempérer un peu. Le jour où je me suis présenté au dojo pour m'inscrire au karaté avait lieu une séance d'Aïkido. J'ai été tout de suite séduit par la fluidité et la sensation de liberté qui se dégageaient des mouvements. Cette discipline, qui m'était inconnue, avait également beaucoup de tenue et d'élégance.C'était Mariano Aristin qui dirigeait le cours ce jour-là. Je me suis attardé à observer ce qui se passait sur le tapis et j'ai été rapidement convaincu. Je me suis lancé. C'était en février 1969.
Comment s'est déroulé par la suite votre itinéraire ?
Dès mes débuts, je me suis investi entièrement dans la pratique. Pendant plusieurs années, je me suis donné un rythme de quatre à cinq entraînements par semaine. A partir de 1972, j'ai parallèlement commencé à enseigner. Par la suite, j'ai rencontré Kimura sensei ( 5ème dan), ancien élève de l'Aïkikaï, et sur ses recommandations, je suis allé voir Christian Tissier qu'il avait connu à l'Aïkikaï. C'était en 1978. Le premier constat a été décisif. Il y avait dans son travail quelque chose d'incontestable : précision, rigueur et attitudes. Ce qui était demandé dans son dojo, c'était une présence constante dans l'action. La qualité de la relation avec le partenaire était également mise au premier rang. C'était une démarche formidable dans laquelle uke n'était en aucune façon le faire-valoir de tori mais un participant à part entière. Cela correspondait totalement à ce que je voulais faire. J'ai donc décidé de poursuivre ma formation auprès de Christian.
Avez-vous eu la possibilité de vous rendre au Japon ?
J'ai eu cette chance en 1983. J'avais depuis longtemps désiré faire ce voyage. Pour beaucoup de pratiquants, se rendre à l'Aïkikaï, le "berceau" de l'aïkido, constitue une sorte de rêve. Je garde un excellent souvenir de ce séjour. Pour ce qui concerne le batiment de l'Aïkikaï, je m'imaginais des locaux plus prestigieux, par contre il régnait sur le tapis un climat de travail intense. Je faisais cinq heures d'aïkido par jour. J'ai principalement suivi les cours de Doshu (Kisshomaru Ueshiba), Waka senseï, Yamagushi senseï ainsi que de Seki senseï et Endo senseï.
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué lors de ces entraînements ?
Ce qui m'a le plus impressionné, c'est le sérieux et la grande vitalité dont font peuve la plupart des pratiquants japonais. Ils s'engagent de façon puissante et déterminée dans les échanges entre partenaires. Le rythme est généralement trés soutenu. Chacun est conduit à donner le meilleur de lui-même. Je ne me suis pas senti désorienté à l'Aïkikaï. Je possédais une bonne condition physique et un niveau technique honorable. Petit à petit, selon votre degré d'engagement et de sincérité, les élèves japonais se rapprochent de vous, vous invitent plus facilement, s'efforcent de vous faire profiter de leur expérience. Je me souviens que le fils de Yamagushi senseï ( 4ème dan à l'époque) s'est montré très disponible envers moi et m'a beaucoup aidé lors de ce séjour. J'ai certainement tiré des profits techniques de mes entraînements au Japon mais c'est surtout l'ambiance de travail qui m'a le plus marquée. J'ai compris qu'il fallait me contraindre à plus d'implication et de rigueur. Cette expérience m'a profondément stimulé et m'a permis de me situer davantage dans ma pratique.
Vous possédez une grande expérience en matière d'enseignement. Comment concevez-vous votre rôle en tant que professeur ?
Enseigner, c'est d'abord un engagement vis-à-vis des élèves, accompagné d'une remise en cause continuelle sur le plan de la pratique de manière à essayer de donner toujours le meilleur de soi-même et de chercher à reproduire la juste image de notre discipline. Cette passion qui vit en moi, je m'efforce de la partager et de la transmettre. Avec l'enseignement reçu et l'expérience acquise, je souhaite amener le pratiquant à découvrir, à lui donner l'envie de progresser et d'exprimer sa propre sensibilité. Parvenir à donner le gout de l'effort et à faire sortir du rang de bons aïkidokas procure une forte satisfaction. Lorsque les élèves demeurent fidèles à votre enseignement, je pense qu'il sagit de la meilleur récompense que l'on puisse obtenir et la preuve qu'ils puisent dans votre enseignement tout ce dont ils ont besoin.
Pouvez-vous me parler de votre tâche de DTR sur la Ligue de Haute Normandie ?
Mon action de DTR est une activité qui me tient très à coeur. Au fil des restucturations fédérales, j'ai un temps exercé des responsabilités de co-DTR en Ile-de-france, puis de DTR sur la Ligue du Nord durant une année, avant de prendre en 1987 le poste de DTR de la Ligue de Haute Normandie. Lorsque j'ai rejoins cette région, j'ai trouvé un groupe de pratiquants très enthousiaste et dynamique mais doté d'un niveau assez bas. Les élèves les plus gradés étaient 2ème kyu. A mes yeux, il était impératif de changer certaines habitudes et de reprendre méthodiquement les bases, de refixer les principes. Cela signifiait une remise en question importante. Il fallut que j'explique ma démarche et que je me montre convainquant au niveau de ma propre Aïkido. Les stages de bases et de préparation se sont succédés. J'ai été satisfait de voir que l'enseignement que je souhaitais impulser rencontrait un écho favorable. La fréquence de mes interventions auprès des pratiquants de la Ligue est d'une fois par mois. Petit à petit,les choses se sont stucturées au niveau des clubs, des passages de grades, de l'école des cadres, etc. Certains élèves ont passé leur diplômes d'Etat et se sont mis enseigner. La région peut se prévaloir aujourd'hui de deux 4ème dan et de nombreuses ceintures noires 1er à 3ème dan. Sans faire de triomphalisme excessif, nous sommes nombreux de Vernon à Dieppe, en passant par Rouen ou Evreux, à être heureux du bilan actuel qui est avant tout l'oeuvre de pratiquants résolus qui àun certain moment de leur pratique ont eu la volonté d'évoluer; Concernant le nombre de licenciés, les chiffres sont stables. Il serait malhonnête de dire que l'on a enregistré des bonds phénoménaux dans la courbe des pratiquants ces dernières années mais je pense que la qualité est désormais au rendez-vous aves des acquis techniques solides et une pratique vivante.
Que préconisez-vous pour aller dans le sens d'une meilleur promotion de l'Aïkido en France ?
Je pense que le bon développement de l'Aïkido en France passe par des exigences de rigeur. Si nous voulons que de nouveaus pratiquants rejoingnent notre discipline, il faut qu'elle s'efforce de toujours éloingner d'elle l'équivoque en matière de forme technique. Notre pratique doit toujours, en elle-même, savoir se montrer authentique et pertinente. L'approximatin n'a pas sa place dans l'Aïkido. je souhaiterais que la prestation qui est réalisée lors des examens soient avant tout l'expression d'un travail clair. Il vaudrait mieux, lors de ces évaluations, que le candidat ait la possibilité "d'en faire moins" mais que sa présentation se montre plus stricte et plus éloquente en matière de formes, de posture,d'attitude et d'acquisition de bases
Pour conclure et pour revenir à votre recherche personnelle, pouvez-vous évoquer la façon dont vous vivez votre pratique aujourd'hui ?
Ma pratique a bien évidement évolué au fil des années. Avec une certaine maturité technique acquise, elle prend aujourd'hui d'autres formes. Je m'emploie dans mon aïkido à m'exprimer avec un maximum de liberté, à faire en sorte que se révèle ma propre sensibilité et personnalité. Ma recherche actuelle est orientée vers moins de technique formelles et davantage de spontanéité. Quand je me trouve sur le tapis, que ce soit en tant que professeur ou en tant que pratiquant, je m'implique complétement dans ce que je fais. Je coupe avec le reste. j'oubli tout. Je me sens bien. Je puise dans ma pratique une forme d'équilibre. L'Aïkido m'a également appris à prendre davantage de distance vis-à-vis des problèmes lorsqu'ils se posent. A mes débuts, j'etais surtout polarisé sur l'aspect art martial physique et efficace. Je me situe aujourd'hui dans une démarche plus ouverte de découverte de moi-même et d'accord avec l'exterieur. L'Aïkido occupe énormément de place dans ma vie. Contrairement à beaucoup de prtiquants, je n'ai jamais connu de moment de fléchissement ou de doute. Mon élan et mon admiration envers l'Aïkido n'ont jamais été ébranlé. Le fait de me retrouver en présence de trés hauts modèles, tels que Yamagushi sensi, Endo sensei et Christian Tissier, ne m'a jamais découragé. Bien au contraire, j'ai toujours vécu ces encontres comme des stimulations. Le feu sacré ne m'a jamais quitté et cette passion, c'est à eux que je la dois. Je remercie Mariano Aristin pour m'avoir ouvert la voie ainsi que Christian Tissier qui continue d'alimenter mon ardeur pour L'Aïkido, qui a apporté le sens martial à ma pratique et m'a donné son amitié et sa confiance.